23

Au cours des huit jours suivants, Vergere fut un modèle d’innocence. Pendant toute cette période, Luke et Mara la surveillèrent dès qu’elle ne se trouvait pas en compagnie de Cilghal ou bien d’autres Jedi. Parallèlement, les efforts de Luke pour convaincre ses adversaires se soldèrent par d’immenses frustrations. Cal écouta poliment ses arguments mais refusa de changer d’avis.

Au matin du neuvième jour, des agents de la Sécurité Républicaine martelèrent la porte et firent irruption dans l’appartement. Dif Scaur, un regard de pierre perçant son visage hâve, se présenta en personne sur le seuil.

— Le Chef de l’Etat veut vous voir, dit-il à Luke avant de poser les yeux sur Mara. Et Mara peut venir également.

Cal Omas était à son bureau. Il n’était pas rasé, le cheveu en désordre et venait visiblement d’être tiré de son lit. Lorsque Dif Scaur s’approcha, accompagné de Luke et de Mara, Cal observait une pâtisserie aux fruits parfumés qu’on lui avait apportée en guise de petit déjeuner. Avec un regard de dégoût, il repoussa le gâteau sur son bureau. Il adressa à Luke un regard extrêmement sévère.

— Où est Vergere ?

— On l’a vue hier soir, elle était dans sa chambre, répondit Luke. Elle allait se coucher.

— Et ce matin, elle n’est plus dans sa chambre, enchaîna Cal. Et nous ne savons pas où elle est.

Luke inspira profondément.

— Qu’est-ce qu’elle a fait ?

— Comme si vous ne le saviez pas, siffla Dif Scaur juste derrière l’épaule de Luke.

— Vergere a saboté Alpha Rouge, dit Cal Omas.

Luke sentit sa bouche se dessécher.

— Saboté ? Comment cela ?

— L’équipe d’Alpha Rouge s’apprêtait à déménager à bord de la frégate Nebulon-B en orbite. Apparemment, Vergere a réussi à monter à bord, profitant de la pagaille du transfert. Elle a effacé les archives… Et – j’ignore comment – elle a… elle a modifié l’arme…

— Modifié ? répéta Luke.

— Elle l’a rendue inefficace. On ne sait pas comment elle s’y est prise.

Avec ses larmes… songea Luke. Elle avait certainement altéré l’arme au niveau moléculaire.

— De plus, elle a assommé trois de mes agents de sécurité, ajouta Dif Scaur.

Mara se tourna vers lui.

— Ils vont s’en tirer ?

— Ils vont s’en tirer.

Cal regarda Luke droit dans les yeux.

— Donc, où est-elle ?

— Sincèrement, je ne sais pas.

— Où peut-elle être allée se cacher ?

— Chez les Yuuzhan Vong, bien sûr ! dit Dif Scaur. Elle n’a jamais cessé de travailler pour eux, c’est évident.

— Non, je… Je ne crois pas, dit Luke. Je pense que Vergere agit totalement en solo.

— Elle n’obéit pas plus aux Yuuzhan Vong que nous, ajouta Mara. Elle s’estime au service de l’Ancienne République, pas de la Nouvelle.

— Alors expliquez-moi pourquoi l’Ancienne République souhaiterait que les Yuuzhan Vong remportent cette guerre ! hurla Scaur.

— Cela n’a rien à voir, dit Luke. Je pense que Vergere ne veut pas qu’une atrocité comme Alpha Rouge soit libérée.

— Et qui aurait bien pu lui parler de cette atrocité, hein ? demanda Cal d’une voix glaciale. Qui a rompu le secret ?

Luke rassembla ses forces, se préparant à admettre son erreur, mais Mara le devança.

— Nous ne lui avons rien dit, déclara-t-elle. Si elle a appris quoi que ce soit, c’est uniquement par ses propres moyens.

C’est vrai, se dit Luke.

— Mais comment ? demanda Dif Scaur. Vous ne disposiez d’aucun document chez vous, d’aucun enregistrement… A moins que… (Sa voix devint soupçonneuse.) A moins que vous n’ayez délibérément produit un tel document.

— Non, ce n’est pas le cas, répondit Luke.

Cal l’observa pendant un très long moment puis posa les yeux sur son bureau.

— C’est effectivement ce que nous a confirmé Vergere, annonça-t-il en grattant son menton à la barbe naissante. Elle a laissé une note disant qu’elle a surpris les propos d’un scientifique, qu’elle a eu des soupçons et qu’elle a suivi son instinct. Et, au passage, elle vous dégage de toute accusation.

— Mais n’importe qui ferait la même chose, cela coule de source ! tonna Dif Scaur. Surtout en considérant qu’elle a pu agir sous les ordres de quelqu’un !

— Je n’ai donné aucun ordre, rétorqua Luke. (Il se sentit désespéré face à cette accusation. Il ne disposait d’aucun moyen pour prouver son innocence. Il regarda Cal.) J’espérais encore pouvoir vous convaincre de renoncer à l’emploi de cette arme.

— Monsieur, dit Scaur à Cal, si elle retourne auprès des Yuuzhan Vong avec des informations sur Alpha Rouge, alors la Nouvelle République est en danger. L’ennemi sera au courant de nos capacités et de nos intentions et il fera tout son possible pour nous détruire avant que nous puissions remettre le projet Alpha Rouge en chantier.

— La famille Skywalker estime qu’elle ne va pas retourner auprès des Yuuzhan Vong, dit Cal.

— Jusqu’à présent, ils se sont trompés, répondit Scaur. Et, de toute façon, nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le moindre risque.

— Exact. (Les yeux de Cal balayèrent la surface du bureau.) Bon, c’est entendu… (Il releva la tête vers Scaur.) Il vous faut relancer Alpha Rouge dans un lieu plus secret et mieux protégé. Il faut que l’équipe retrouve les copies de ses travaux originels… Combien de temps est-ce que cela va prendre, à votre avis ?

— Au moins trois mois, si ce n’est quatre.

Cal hocha la tête et se tourna vers Luke.

— Alors nous passons immédiatement au plan d’Ackbar. Si les Yuuzhan Vong réagissent comme Ackbar l’a prévu, alors peut-être qu’ils n’auront pas le temps de tous nous massacrer.

— Bien, Monsieur, répondit Luke, l’esprit déjà perdu dans toutes sortes de calculs.

Il faudrait donc trois à quatre mois pour qu’Alpha Rouge soit de nouveau opérationnel.

Ce qui signifiait que Luke disposait de trois mois pour gagner la guerre.

Et si, au terme de ce délai, l’ennemi était effectivement au bord de la défaite, alors peut-être que Cal renoncerait à utiliser l’arme pour éliminer totalement les Yuuzhan Vong.

 

Les Jedi étaient ses yeux et ses oreilles. Les formations flottaient dans l’esprit de Jacen : les vaisseaux de transport lents et lourds, les navires capitaux bardés d’armement, les escadrons de chasseurs stellaires si rapides…

Il s’agissait d’un exercice de la Flotte. Un camp, aidé par le lien mental produit par les Jedi, s’opposait à un autre, largement supérieur en nombre, qui n’en bénéficiait pas. La Force brillait dans l’âme de Jacen comme un feu brûlant, il manœuvrait les escadrons alliés comme les pièces d’un immense puzzle, essayant de deviner, très longtemps à l’avance, les conséquences de chacun de ses mouvements.

La flotte adverse réagit. Les deux formations entrèrent en conflit, tous lasers éteints, les ordinateurs se chargeant de lancer des missiles simulés. L’image imprimée dans l’esprit de Jacen sembla s’étendre, les informations lui parvenaient en plus grand nombre et il lutta pour tenter d’en emmagasiner le plus possible, il sentit une goutte de sueur glisser le long de l’arête de son nez. L’image se détériora, se transformant en une confusion frénétique ponctuée par de rares moments de clarté.

Le lien mental se rompait toujours lorsque la situation devenait trop complexe. Jacen pouvait tenir et contrôler un grand nombre de Jedi, comme cela s’était produit pour ceux engagés dans le raid sur Duro, mais au-delà de cela, ses aptitudes se réduisaient considérablement. C’était très frustrant car il savait qu’il existait un moyen pour arriver à contrôler entièrement la situation, sans y être toutefois jamais parvenu. Si seulement plus de Jedi pouvaient joindre leur esprit au lien psychique… Si seulement il arrivait à se maîtriser et à canaliser son intelligence…

Pourtant, ses manœuvres préliminaires avaient permis à la flotte alliée de se maintenir en bonne position. Au cours de la bataille, il avait eu quelques éclairs de génie lui permettant de trouver un vague sens à tout ce chaos. Quand l’exercice prit fin, la supériorité en nombre de l’adversaire avait été annulée et les « pertes » simulées dans chacun des camps laissaient l’avantage à la flotte conduite par Jacen.

— Dis-moi, Solo, la prochaine fois, essaie de faire en sorte qu’on ne me tue pas dès le début ! annonça amèrement Corran Horn dans le comlink à la suite de sa participation des plus réduites au combat.

Jacen lui adressa ses excuses. Il fallait qu’il s’améliore. La prochaine fois, les missiles ne seraient pas simulés.

— Beau travail, Jacen ! (En dehors du lien de la Force, à l’autre bout de la passerelle du Ralroost, la silhouette couleur crème de l’Amiral Kre’fey semblait faire des bonds.) Lors du prochain affrontement, nous les pilonnerons !

Le Bothan, pour marquer son enthousiasme, écrasa violemment un poing dans la paume de son autre main.

— Je l’espère, dit Jacen.

Il fallait vraiment qu’il s’améliore. Beaucoup trop de gens comptaient sur lui.

 

C’était devenu une coutume, pour les Jedi, de dîner ensemble après l’exercice. Ils passèrent en revue les manœuvres, la façon dont le lien psychique avait fonctionné, les occasions au cours desquelles il leur avait fait défaut et les moyens d’améliorer leur tactique. Lorsque le groupe se sépara, Jacen alla trouver Tahiri Veila.

— Comment te sens-tu ? demanda-t-il.

— Je travaille dur, répondit-elle, fronçant les sourcils.

C’était la vérité. Depuis la mort d’Anakin, Tahiri était devenue très sérieuse, presque sinistre, dans sa manière d’atteindre ses objectifs. C’était un contraste frappant par rapport à l’impétueuse et farouche jeune fille que Jacen avait jadis rencontrée à l’Académie des Jedi.

— Je me demande si je peux te poser une question… dit Jacen.

— Bien sûr.

— Voilà… heu… Depuis que tu es revenue de captivité… Est-ce que tu as jamais ressenti la possibilité de… heu… percevoir la présence des Yuuzhan Vong ?

Tahiri fut stupéfaite.

— Non. En voilà une question ! répondit-elle en chassant une mèche blonde de son visage.

Jacen lui parla de sa propre captivité et de la manière dont les spores de servilité qu’on lui avait implantées lui avaient donné la possibilité d’établir une sorte de connexion télépathique avec les Yuuzhan Vong.

Tahiri frissonna.

— Non, je n’ai jamais vécu ça… Et j’en suis heureuse. Ça doit être terrible !

— C’est supportable… Ça m’a permis de les comprendre. (Il observa la jeune femme.) Et ça peut être très utile pour détecter l’ennemi et contrôler ses armes biologiques. (Il hésita.) En vérité, je me demandais s’il était possible d’enseigner ce sens Vong à quelqu’un d’autre.

Tahiri fit un pas en arrière et écarquilla les yeux.

— Et tu voudrais savoir si je peux contacter les Yuuzhan Vong dans la Force, c’est ça ?

— Non, pas dans la Force… C’est une autre forme de lien.

— Ah… Grâce à leurs… (Elle fit une grimace.)… leurs spores de servilité.

— Exactement.

— Tu sais combien je les déteste. (Ses yeux intenses se braquèrent droit dans ceux de Jacen.) Je les déteste vraiment. Je sais, je suis un Jedi et je ne suis pas censée détester qui que ce soit mais je ne peux pas m’en empêcher. Pas après tout ce qu’ils ont fait.

Jacen hocha la tête.

— Je comprends. Je ne voudrais pas t’obliger à revivre quelque chose d’aussi déplaisant ou bien raviver de mauvais souvenirs.

— Merci, dit-elle en hochant la tête. Je suis désolée, Jacen.

— Ce n’est rien…

Tahiri commença à s’éloigner, hésita et se tourna à nouveau vers lui.

— C’est si important que ça ? demanda-t-elle.

— Je ne sais pas, répondit le jeune homme. Mais ça t’aiderait à comprendre les Yuuzhan Vong. Et peut-être que, lorsque tu les comprendras, tu ne les détesteras plus autant.

— Mais je veux les détester, dit-elle, pinçant fermement les lèvres en une expression de défi.

— Il faut dépenser beaucoup d’énergie pour haïr, dit Jacen. Tu pourrais utiliser cette énergie à autre chose, Tahiri.

Elle hésita encore.

— Bon, d’accord, dit-elle finalement. Je veux bien essayer.

Ils rejoignirent la petite cabine de Jacen, s’assirent en position de méditation sur le sol et se prirent les mains. Il perçut alors la perception dans la Force émaner de Tahiri.

— Non, non, pas dans la Force, dit-il. Cette puissance doit venir d’ailleurs.

Tahiri fit une grimace exaspérée.

— Alors qu’est-ce que je dois faire ?

— Essaie de trouver… Le vide où les spores de servilité étaient implantées. Je vais tenter de te guider.

Jacen fut à même de trouver le vide en question et il sentit, en marge de sa propre perception, la présence du Cerveau Monde qu’il avait abandonné sur Coruscant. Il essaya de construire un pont entre Tahiri et le dhuryam, mais il ne parvint pas à les rapprocher suffisamment. Il perçut la frustration croissante de Tahiri.

Le problème, c’était qu’il n’y avait aucun Yuuzhan Vong dans les environs. S’il y en avait eu ne serait-ce qu’un, Tahiri n’aurait certainement pas eu autant de difficultés à établir la connexion.

— Je suis plutôt contente que ça n’ait pas marché, déclara-t-elle.

— Ça t’ennuierait qu’on recommence une autre fois, plus tard ?

Elle fit la grimace.

— Je suppose qu’on peut toujours essayer. Mais je ne m’en réjouis pas.

Après le départ de Tahiri, Jacen commença à enregistrer une lettre holographique à l’attention de ses parents. Il se rendit compte qu’il n’était pas seul. Y compris dans son esprit.

Vergere ? essaya-t-il.

En guise de réponse, il reçut des sensations, des images d’un paysage verdoyant et très arboré qu’il reconnut comme Kashyyyk, ainsi que l’ordre silencieux très puissant de se rendre sur cette planète.

Le tout fut immédiatement suivi d’un autre ordre tout aussi puissant lui demandant de conserver le silence.

Un rendez-vous secret ? transmit Jacen. Il n’y eut pas de réponse.

 

Jacen obtint de son officier de pont la permission de quitter momentanément le Ralroost. A bord de son Aile-X, il gagna la surface de la planète, utilisant la présence de Vergere dans la Force comme une balise de guidage.

Elle avait choisi une petite île isolée pour leur rencontre. Aucun Wookiee ne vivait à cet endroit mais dans les couches inférieures de la dense forêt de wroshyr rôdait une importante population de formes de vie aussi curieuses que mortelles.

Le lieu du rendez-vous était marqué par une vieille navette Trilon, prévue pour quatre passagers, perchée dangereusement au sommet d’un arbre wroshyr. Jacen fit progresser son Aile-X sur ses répulseurs et posa très délicatement le chasseur stellaire sur un enchevêtrement de branches. Il éteignit les propulseurs et laissa les ramifications de l’arbre encaisser le poids de l’appareil. Stupéfait, il vit alors un serpent de quatre mètres de long, aux crocs particulièrement acérés, voler le long de la verrière de son cockpit.

— Leur instinct est de dévorer les oiseaux, expliqua Vergere lorsque Jacen sauta de son cockpit et se rétablit en douceur sur l’une des branches massives de l’arbre. J’essaie de les décourager, mais ils sont dénués d’intelligence et donc du genre plutôt insistant.

Pendant que Vergere parlait, un autre gigantesque serpent se détacha d’une branche. Dans un tourbillon de feuilles vertes, il s’éleva dans les airs et disparut par-delà l’horizon végétal.

— Je n’arrête pas de balancer ces serpents à la mer, dit Vergere. Ça les retarde un moment, mais ils n’arrêtent pas de revenir !

La branche oscilla sous les pieds de Jacen. Elle était aussi large qu’une route, mais le balancement était inquiétant.

— Et tu ne réussis pas à te faire toute petite ? demanda-t-il.

— Ils ne me détectent pas dans la Force, répondit-elle. Je crois qu’ils peuvent me flairer.

— Je suis doué avec les animaux. Laisse-moi essayer un truc.

Il étendit sa perception dans la Force pour y inclure la faune de la cime des arbres. Il détecta les esprits primitifs et déterminés de plusieurs autres serpents, progressant dans les feuillages en direction de Vergere. Jacen tenta d’abord de tempérer leur instinct de chasseurs mais celui-ci était bien trop ancré en eux et il échoua. Alors, il leur suggéra qu’une meilleure proie, bien plus appétissante, se trouvait beaucoup plus loin dans la forêt et qu’ils devaient immédiatement faire demi-tour pour se lancer à sa recherche.

— Bien joué, dit Vergere. Et cette tactique, on peut l’appliquer à d’autres espèces que les serpents ?

Jacen releva les yeux vers elle.

— Si tu m’expliquais ce que tu fais ici…

Les antennes couvertes de plumes de Vergere se tordirent d’avant en arrière, comme pour essayer de détecter une force hostile.

— Je ne perçois plus aucune présence, déclara-t-elle.

— Tu t’es enfuie ? Est-ce que Nylykerka te poursuit ?

— Nylykerka et plein d’autres. Ton Maître Skywalker y compris, je crois.

Jacen inspira profondément et s’installa sur la branche en s’accroupissant.

— Bon, tu ferais peut-être mieux de tout me raconter, dit-il.

Vergere lui raconta son histoire. Jacen fut horrifié. Non pas parce qu’Alpha Rouge était une arme de destruction de masse mais simplement parce qu’il éprouvait – en raison des séquelles laissées par les spores de servilité sur son système nerveux – une certaine empathie avec les Yuuzhan Vong. Il n’y avait pas que la partie totalement humaine de son cerveau qui avait tressailli à l’évocation de l’arme, il y avait également cette part de son esprit qui comprenait l’ennemi.

Vergere le regarda.

— J’ai accordé aux Jedi quelques mois supplémentaires pour qu’ils tentent de répondre à cette horreur, dit-elle.

— Tu crois qu’ils peuvent reconstruire l’arme ?

— Certainement.

Il haussa les épaules, impuissant.

— Qu’est-ce que je peux faire ?

— Je ne peux te donner aucun conseil.

— Est-ce que je devrais en informer tout le monde ? On pourrait faire pression sur le gouvernement. Mais ça risquerait d’alerter les Yuuzhan Vong et…

Il frissonna face aux conséquences d’une telle décision, lorsque les Yuuzhan Vong comprendraient que la guerre ne serait plus une guerre de conquête mais une guerre signifiant leur totale extinction.

Vergere fixa Jacen de ses yeux noirs en amande.

— La première fois que je t’ai rencontré, j’ai eu tout de suite l’intuition que, d’une façon ou d’une autre, ton destin était lié au sort des Yuuzhan Vong. Peut-être que nous venons d’atteindre ce moment que j’anticipais…

Jacen, surpris, la dévisagea.

— Le sort des Yuuzhan Vong ? C’est pour ça que tu t’es tellement intéressée à moi ?

Elle plissa les yeux.

— Je ferais passer mon intérêt pour un Jedi en détresse avant tout autre.

Jacen se leva. L’énorme branche oscilla sous ses pieds lorsqu’une rafale de vent balaya son feuillage.

— Et qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda-t-il.

Sa large bouche se tordit, exprimant une intense réflexion.

— On n’a pas encore lancé de mandat d’arrêt général me concernant, sinon, je pense que tu serais au courant. Ce qui signifie que seuls les agents du Service de Renseignement vont partir à ma recherche et il me sera donc plus facile de leur échapper. (Elle tourna son long cou vers la navette échouée dans les branches.) Mon appareil est arrivé sur Mon Calamari avec, à son bord, une famille de réfugiés. Ils ont vendu leur navette pour s’acheter de la nourriture. Tôt ou tard, le concessionnaire à qui ils l’ont vendue finira par découvrir que l’appareil n’est plus garé en orbite. Alors les recherches démarreront mais ça n’a plus grande importance… Les hyperpropulseurs sont sur le point de rendre l’âme. J’aurai de la chance si j’arrive à quitter le système de Kashyyyk. (Elle se tourna à nouveau vers Jacen.) Dis donc, tu ne pourrais pas m’emmener à bord de ton chasseur ?

— Bien sûr, où veux-tu aller ?

— Sur ton vaisseau, peut-être…

Il écarquilla les yeux.

— Mais enfin, c’est un croiseur d’assaut ! s’exclama-t-il. Il doit y avoir plus de mille membres d’équipage !

— C’est facile de passer inaperçu au milieu d’une foule de mille personnes, non ? dit Vergere en souriant. Et puis, dans un uniforme, on ne me remarquerait pas.

— Pas si facile que ça, répondit Jacen. (Il s’abstint d’insister sur le fait qu’il aurait toutes les difficultés du monde à trouver un uniforme qui puisse aller à Vergere.) La plupart du personnel de bord est Bothan. Les pilotes de chasseur stellaire viennent d’un peu partout mais ils ne sont pas si nombreux que ça et…

— Il doit bien y avoir des vaisseaux de ravitaillement qui font la navette avec le croiseur, non ? demanda Vergere. Des cargos qui arrivent, qui repartent, qui restent à l’amarrage. Des transporteurs, des navettes qui font la liaison avec les autres vaisseaux… Des centaines de capsules de sauvetage… Dans toute la confusion, il est évident qu’une personne seule devrait réussir à quitter discrètement le vaisseau en sécurité. (Elle sourit.) Je suis très forte pour me rendre invisible.

Jacen soupira. Il sentit que la perspective était inévitable, que Vergere avait déjà pris sa décision.

— Espérons qu’il n’y aura pas de gros serpents à bord, dit-il.

 

— Je suis content de savoir que ce sinistre volatile a décampé, déclara Han. Comme ça, je n’aurai pas à tordre son sale petit cou pour tout ce qu’elle a fait subir à Jacen. (Il regarda tout autour de lui.) Où est-elle partie, au fait ?

— Je n’en sais rien… dit Luke.

Il apaisa le malaise qui régnait dans son esprit et demanda à Han et à Leia de s’asseoir. Le couple s’installa dans des fauteuils et Mara leur apporta des rafraîchissements. Elle se servit également un verre et alla rejoindre Luke sur le canapé. Luke passa son bras autour des épaules de sa femme.

— Je voulais vous dire que je vais devoir m’absenter pendant quelque temps, annonça-t-il. Je dois traverser toute la galaxie pour aller sur Fondor et je ne sais pas quand je serai de retour.

Leia le dévisagea.

— Tu peux nous dire de quoi il s’agit ?

— Je dois aller rencontrer Garm Bel Iblis, répondit Luke. Il dirige les troupes sur Fondor et, depuis la chute de Coruscant, il opère indépendamment, sans obéir à Sien Sovv ou à l’armée.

— Tout comme au temps de la Rébellion, dit Han. Bel Iblis aime bien faire cavalier seul.

— Lorsqu’on lui a donné des ordres, il a d’abord répondu que la situation dans son secteur était différente de ce que pouvait imaginer le Suprême Commandeur et il a donc refusé de les exécuter. Depuis quelque temps, il ne répond plus du tout aux ordres du haut commandement.

— Tu as déjà réussi à le faire rentrer dans le droit chemin une première fois, dit Leia. Je suppose que Cal pense que tu peux y parvenir à nouveau.

— Sauf qu’auparavant, la situation n’était pas aussi grave qu’aujourd’hui, dit Luke. Bel Iblis, dans son secteur, exécute plus ou moins ce qu’il est censé faire, c’est-à-dire défendre les planètes et attaquer l’ennemi. Mais à présent qu’Ackbar a un plan pour gagner cette guerre, il est nécessaire de savoir si oui ou non Bel Iblis participera au sprint final.

Leia réfléchit à la question.

— Je pense que oui. C’est une forte tête, un indépendant, mais il sait se ranger du bon côté quand cela s’avère nécessaire.

— Je l’espère aussi, dit Mara. Ça m’ennuierait que Luke fasse un aussi long voyage pour rien.

Leia adressa à Luke un regard plein de curiosité.

— Cette mission va t’écarter des Jedi pendant un bon moment. Enfin, je veux parler du Haut Conseil. Tu vas réussir à t’absenter aussi longtemps ?

— Je confie ma procuration à Cilghal, dit Luke. Elle parlera en mon nom et votera à ma place. Ainsi qu’à la place de Saba, qui m’a confié sa propre procuration avant de rejoindre son escadron.

La tension qui existait entre Luke et Cal n’avait eu aucune incidence sur le fonctionnement du Haut Conseil. Cal s’était montré parfaitement amical, quoiqu’un peu réservé. Mais il ne partageait plus aucune information confidentielle avec Luke. S’il existait encore des secrets politiques ou militaires que Luke ne connaissait pas, on évitait d’en parler en sa présence.

La confiance avait disparu. Luke ignorait encore s’il parviendrait à la regagner. Mais, de son côté, il espérait encore convaincre Cal de renoncer totalement à Alpha Rouge.

Si nécessaire, Luke irait s’entretenir en privé avec les autres Jedi membres du Conseil. L’influence de l’assemblée, en tant qu’entité politique, pourrait peut-être faire pencher la balance en défaveur de Dif Scaur et de son plan. Ensemble, ils parviendraient peut-être à organiser une levée de boucliers contre l’utilisation des armes bactériologiques.

Mais cette éventualité appartenait encore au futur. Pour l’heure, Luke avait l’intention de mettre les plans d’Ackbar à exécution. Si on parvenait à mettre les Yuuzhan Vong en déroute, alors tous les arguments contre Alpha Rouge n’en prendraient que plus d’importance.

Luke se tourna vers Han.

— Tiens, en parlant d’Ackbar, dit-il. Il a demandé si tu pouvais lui rendre un service.

Han fit tinter les glaçons dans son verre et avala une grande gorgée de sa boisson.

— Bien sûr… dit-il.

— Il aimerait que tu reprennes ton grade militaire et que tu diriges un escadron.

Han déposa doucement son verre sur la table basse qui se trouvait à côté de lui.

— Tu sais, je ne me suis jamais vraiment fait à l’armée… Et on ne peut pas dire que l’armée se soit jamais vraiment faite à moi. Si Ackbar tient tellement à nous ridiculiser, la Flotte et moi…

— Il aimerait en fait que tu prennes le commandement d’un escadron auquel participeraient les membres de l’Alliance des Contrebandiers, dit Luke. Talon Karrde, Booster Terrik, l’Aventurier Errant… C’est une horde de sauvages, ils sont anarchiques, rebelles et indisciplinés. Leurs vaisseaux sont complètement disparates… Toute tactique nécessiterait la poigne et le savoir d’un commandeur d’escadron.

Leia, lugubre, se tourna vers son époux.

— Si j’étais toi, je me servirais du mot jamais.

— Et Lando en fait partie, ajouta Luke. Tous les officiers de la Flotte passeraient pour gentils à côté de lui, mais il faut un commandant. Quelqu’un qui soit susceptible de contrôler cette horde sauvage, au moins aussi expérimenté et aussi retors qu’eux. Ce commandeur devrait être capable d’obtenir toute leur confiance, au point qu’ils pourraient voler pour lui les yeux fermés…

— … Et être capable de soulever cinquante dragons de Krayt à mains nues ! l’interrompit Leia. (Elle se tourna vers Han.) Tu as compris ce que mon frère essaie de faire, non ? Il te flatte jusqu’à ce que tu te sentes incapable de refuser le poste ! Il essaie de te dire que seul Han Solo aurait l’étoffe du commandant d’un tel escadron…

Han sourit.

— Et il a raison, cela va de soi. Mais j’ai toujours le mot jamais sur le bout de la langue…

Luke soupira.

— Tu vas m’obliger à utiliser des coups bas, dit-il. Je ne voulais pas en arriver là.

— Vas-y, je t’attends, répondit Han en éclatant de rire.

Luke leva les mains en signe d’excuse.

— Pendant cette opération, l’Escadron de l’Alliance des Contrebandiers devra soutenir la flotte de l'Amiral Kre’fey. Dans laquelle sont engagés tes enfants. Désolé.

Han en eut le souffle coupé. Leia plissa les yeux et dévisagea son frère.

— Ça, c’est vraiment bas, Luke… dit-elle.

— Je sais, répondit-il.

— On s’était sorti de tout ce fatras… On allait enfin pouvoir passer un peu de temps ensemble… On allait enfin être heureux !

— Désolé.

— Et voilà que… (Elle serra les poings.) Et voilà que tout dépend à nouveau de nous, c’est ça ?

Luke sourit.

— Le sort de la galaxie pourrait effectivement reposer sur vos épaules. Oui. C’est injuste mais c’est comme ça…

Leia leva le poing.

— Quand tout ceci sera terminé, déclara-t-elle, rappelle-moi que je dois te casser la figure !

Luke leva les mains pour apaiser la colère de sa sœur.

— Kyp a déjà pris son ticket pour ça, dit-il. Mais une fois qu’il en aura terminé, tu auras le champ libre…

 

Jacen avait quitté Kashyyyk et était en train de regagner le Ralroost lorsque Kyp Durron l’appela.

— J’ai besoin de réunir tous les Jedi à bord du Mon Adapyne, c’est urgent.

— Est-ce que je peux me laver et me changer, d’abord ? demanda Jacen. J’étais sur Kashyyyk et je suis sale comme un peigne.

— J’ai dit c’est urgent, aboya Kyp. On a besoin de toi immédiatement.

Jacen posa les yeux sur la petite silhouette de Vergere, recroquevillée sur ses genoux à l’intérieur du cockpit. Tu as intérêt à te faire vraiment toute petite, songea-t-il.

— Bien compris, dit-il à Kyp.

Vergere parvint à ne pas être découverte lorsque Jacen posa son Aile-X dans la vaste baie d’accostage du croiseur. Elle demeura accroupie, hors de vue, dans le cockpit lorsque Jacen sauta sur le pont et rejoignit ses camarades Jedi.

Kyp, assis à l’extrémité d’une des tables du mess des officiers, avait rassemblé tous les Jedi à bord. Jacen entra sur la pointe des pieds dans la salle et aperçut Corran Horn ainsi que Jaina, Tesar, Lowbacca, et les autres Chevaliers récemment adoubés. Lorsqu’il arriva, Saba et les membres de son Escadron des Chevaliers Errants se tournèrent vers lui et l’observèrent de leurs yeux reptiliens étincelants. Jacen essaya immédiatement de calmer la panique qui croissait en lui et demanda :

— Qu’est-ce qui se passe ?

Kyp se retourna vers lui.

— Je viens de recevoir un message urgent de Maître Skywalker. Il dit que Vergere s’est enfuie de Mon Calamari et que, si nous la voyons, nous avons ordre de l’emprisonner et de la ramener sur Mon Calamari ou bien de la livrer aux agents du Service de Renseignement de la Nouvelle République.

Même s’il avait deviné la teneur approximative du message, Jacen sentit monter en lui une bouffée d’émotion en entendant les paroles de Kyp.

Au cours des derniers mois, Jacen était passé maître dans l’art de la dissimulation. Il avait menti aux Yuuzhan Vong, il avait menti à Ganner Rhysode afin de le capturer pour le compte de l’ennemi. Mais mentir à une assemblée de Jedi – des Jedi au côté desquels il s’était battu plusieurs semaines – représentait une nouvelle épreuve.

— Vergere ? dit-il tout en se calmant. Et qu’est-ce qu’elle a fait ?

— Maître Skywalker ne me l’a pas dit. Mais ça doit être très important parce que Vergere est devenue notre priorité. Si nous apprenons la moindre petite chose, nous devons laisser tomber sur-le-champ tout ce que nous sommes en train de faire pour partir à sa recherche. Mais nous ne pouvons pas agir seuls. Vergere est à présent considérée comme dangereuse et devrait uniquement être appréhendée par une équipe de Jedi au grand complet.

Saba Sebatyne leva une main.

— On ne va quand même pas organiser des meutes pour fouiller la galaxie dès maintenant, j’espère…

— Non. Nous devons rester avec la Flotte jusqu’à ce que nous entendions quoi que ce soit au sujet de Vergere. Alors, et seulement à ce moment-là, nous la capturerons et la livrerons à qui de droit. (Il posa les yeux sur Jacen et ce dernier sentit un vent glacé lui caresser l’échine.) De nous tous ici, tu étais le plus proche d’elle, dit Kyp. Maître Skywalker estime qu’elle va essayer de te contacter.

— Ce serait de la folie pour elle de venir jusqu’à Kashyyyk, dit Jacen avec honnêteté. Il y a bien trop de Jedi dans les parages.

— Effectivement, dit Kyp. (Jacen, cependant, sentit qu’il avait des soupçons. Kyp se leva de table.) Il y a peu de chances pour qu’on la trouve, de toute façon. Nous déménageons.

Jacen resta debout, immobile.

— Nous déménageons ?

— Tout juste, dit Jaina. Nous sommes en alerte continuelle. Quelque chose d’important se prépare. La Flotte tout entière est prête à se mettre en route.

— Il y a des rumeurs qui prétendent qu’on va dans le Noyau, dit Corran Horn. Mais on sait combien on peut faire confiance aux rumeurs en temps de guerre…

Jaina, en quittant la réunion, donna une tape amicale sur l’épaule de son frère.

— On se voit là-bas, dit-elle.

A condition de savoir de quel « là-bas » il s’agit, songea Jacen. Il se demanda ensuite comment il réussirait à aider Vergere à quitter le vaisseau, maintenant que toute la Flotte était en état d’alerte.

La voie du destin
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